À l'horizon

La mer est orange, l’horizon vert. De grandes vagues s’échouent sur des digues d’un gris parfaitement désaturé. Elles n’émettent pas le son que les vagues font sur notre planète, mais une sorte de bourdonnement mélodieux que j’imagine que les constellations pourraient avoir.

J’erre, nue, sur cette plage déserte. Mes cheveux sont blonds et longs jusqu’à toucher le sol. Sans but, n’ayant ni chaud ni froid, je tente de me baigner mais le liquide couleur d’abricot semble en lévitation autour de mon corps sans jamais le toucher, comme si j’étais une goutte d’huile dans l’eau. Je ressors, déçue et aussi sèche qu’avant.

C’est comme si cet endroit me privait de toute sensation. Il n’y a ni température ici, ni humidité, ni vent, ni même tonnerre. Je ne suis pas à ma place ici.

Après une longue marche le long du littoral, je croise cette fille qui semble effectuer le trajet inverse. Elle a le visage d’une fille que je connais (et dont j’ai peut-être été amoureuse) ; mais ce n’est pas elle. Son corps franc et rond est couvert d’un fin survêtement d’été bleu cyan et rose fuschia. Je me souviens alors que je suis nue et tente de cacher les parties les plus honteuses de ma pitoyable anatomie, rouge de honte. Me voyant, elle sourit, rougit à son tour et murmure, avec un geste pointant vaguement vers le côté de la plage dont elle venait :

— Il n’y a rien de ce côté.
— Du mien non plus, répond-je.

Nous nous asseyons sur le sable d’un gris de pellicule et restons là, spontanément, main dans la main, en direction de l’océan infini. Plusieurs heures s’écoulent ainsi, peut-être. Nous n’échangeons aucun mot mais, ainsi que nous le découvrons, la parole est superflue en cet endroit. Nous nous connaissons désormais. Je sais comment elle s’appelle, je connais son âge, son parcours, ses aspirations profondes. Je la sais désorientée, aussi perdue que moi dans ce lieu où nous n’avons pas choisi d’atterrir. Bien que cela n’ait pas tant d’importance sur une planète où nous semblons être les deux seuls êtres vivants à errer, nous avons beaucoup en commun.

Alors que le ciel vire au turquoise foncé, nous comprenons que la nuit tombe. Au loin, par-delà les mers, se forme une curieuse aurore boréale bleu et blanc, par-dessus laquelle flottent les spectres de centaines d’êtres vivants.

Elle décide alors de partir les rejoindre. Je comprend instinctivement sa décision, mais n’arrive pas vraiment à l’accepter. Sa main s’arrache alors à la mienne. Bien que ne nous ne nous soyons connues que quelques heures, c’est comme si je perdais une partie de moi-même. Je la vois s’éloigner lentement, marchant dans la mer jusqu’à s’y enfoncer et disparaitre complètement.

Je reste encore quelques temps ici, les yeux plongés dans la mer d’huile où les vagues ont totalement cessé, regardant tournoyer ce grand halo d’âmes argentées au loin. Ce n’est qu’au petit matin que je décide de me lever, puis de partir dans la direction opposée ; vers les terres désolées. À chaque pas, c’est comme si les sens revenaient à moi. Soudain, j’ai froid. Le sable pique ma voûte plantaire et le vent brûle mes épaules. La pluie commence à tomber et je la sens ruisseler sur mon corps. J’éternue. Un éclair me touche. C’est à ce moment que je me réveille.

  • Atelier d’écriture du 24 mai 2021
  • Thème : racontez un rêve (que vous avez vraiment fait ou inventé, peu importe).
  • Forme libre
  • 40 mn