Cette famille qui n'existe plus
Ces personnes à côté de qui j’ai grandi, j’ai passé une partie de mon enfance, j’ai partagé les moments les plus douloureux. Des cousins, des oncles, des tantes. Et, pourtant, aujourd’hui, ils n’existent plus. Des fois, je ressens encore leur présence, comme la douleur fantôme d’un membre sectionné par nécessité ; elle me démange.
Ils se foutent bien que notre famille soit déjà décimée. Une telle situation, qui aurait dû nous resserrer, ne leur a servi que de prétexte pour nous abandonner. La perte d’une mère n’était pas une punition suffisante ; il fallait donc perdre une large part de l’arbre généalogique qui y est rattaché, au même moment.
Pourquoi ? Éprouvent-ils du remord, parfois ? Ont-ils, comme moi, leur jambe amputée qui gratte, certains soirs d’été ? Réalisent-ils seulement la douleur qu’ils m’ont infligée, qu’ils nous ont infligée ?
Le pire, c’est que je ne sais même pas s’ils savent que je suis trans. Connaissent-ils seulement mon prénom ? Une chose est certaine : s’ils ont reçu la news, ils n’ont pas fait en sorte de m’envoyer leur communiqué de soutien. Comme si cela n’était pas si important que ça, que cela ne nécessitait pas de dire « on est là pour toi si tu as besoin ». À croire que, quoi qu’il arrive, je n’existe plus à leurs yeux. Ou, si ça se trouve, cela les fait marrer. C’est courant chez les pseudo-gauchistes, dont la tolérance s’arrête généralement à leurs jolies petites publications Facebook hypocrites. Si ça se trouve, j’ai échappé à leurs remarques transphobes, à leur jugement condescendant lors des fêtes de fin d’année. Peut-être que c’est juste comme cela que je préfère l’imaginer, car c’est plus confortable.
Cette famille qui n’existe plus, elle m’obsède deux ou trois fois par an. Elle symbolise, de façon un peu trop proche peut-être, tout ce que je n’arrive pas à saisir sur la nature humaine ; ou que je ne comprend hélas que trop bien.