Je ne suis pas courageuse
À 10 ans, je refusais de me couper les ongles. À cause de ça, je me faisais systématiquement engueuler au judo, et mes parents devaient me les couper de force. Cela provoquait chez moi débattements et crises de larmes. Je m’entends encore hurler que je ne voulais pas qu’on m’enlève « une partie de mon corps ». Aujourd’hui encore, je me souviens de ces moments comme d’un vif traumatisme.
À 15 ans, j’utilisais des éditeurs de personnage de jeux vidéo pour incarner des femmes dès que cela était possible. Parfois me ressemblant, parfois non. Du simple fait d’apparaître sous des traits féminins, je me suis fait harceler sexuellement, plus d’une fois, sur les chats de ces jeux en ligne où le chat audio n’était pas encore la norme. Toujours par des hommes bien plus âgés qui voulaient mon numéro de téléphone ou une photo dénudée. J’ai reçu mes premières dick pics à cette époque.
À 20 ans, j’ai arrêté de me couper les cheveux. Je les ai laissé pousser des années, tant et si bien qu’ils m’arrivaient presque aux fesses. Parfois, en me voyant de dos, on m’appelait « madame ». Une fois même, alors que ma petite amie d’alors et moi-même nous embrassions en public, nous avons été qualifiées de « lesbiennes » par deux abrutis, et je n’ai pas eu envie de les corriger.
À 25 ans, mon éphémère copine de l’époque a mis brutalement fin à notre relation sous prétexte que je n’étais pas assez viril. Dans la lettre de rupture qu’elle avait pris soin de m’adresser, je me rappelle qu’elle me reprochait ma « sensiblerie excessive », mes « manières », et jusqu’à mon comportement au lit. J’ai mis énormément de temps à m’en remettre et je crois que ses griefs ont pesé sur toutes mes relations par la suite.
Aujourd’hui, j’ai 33 ans. Et je refuse qu’on m’admire, que l’on me dise que je suis courageuse. En fait, cela me rend furieuse. Allez plutôt le dire à cette gamine de 15 ans, trans et fière de l’être, qui s’est fait virer de chez elle et qui réclame des bloqueurs de puberté. Allez le dire à toutes mes sœurs à qui on refuse le droit de travailler, de vivre dignement, ou de vivre tout court. Toutes, elles le méritent tellement.
Moi ? Personnellement, toute ma vie n’a été qu’une longue fuite en avant, une négation des évidences présentées à moi. Je ne suis exemplaire que de par ma lâcheté. Je ne suis pas courageuse. JE. NE. SUIS. PAS. COURAGEUSE.