La passerelle
Visible à des lieues de là, le pont est droit, solide et bien construit. Baigné de soleil le jour, nappé du clair de lune quand tombe la nuit. Aujourd’hui vestige d’une civilisation disparue, l’édifice surplombe avec arrogance les terres calmes.
Sa traversée ne s’accompagne d’aucune péripétie, et n’exige aucun talent particulier. Seule la sourde crainte de ne jamais pouvoir en revenir, nichée au creux du ventre, accompagnait le marcheur imprudent qui devait s’y aventurer ce jour-là.
Au creux de ses bras, le corps sans vie de sa bien-aimée, enveloppée d’un simple drap. Le contact du froid de sa peau. La mélancolie des souvenirs passés. Les douloureuses images d’une paisible vie commune. On dit que, de l’autre côté, les créatures exaucent les macabres souhaits des imprudents qui viennent y perdre leur âme. C’est à ce mince espoir que le jeune garçon, chancelant, s’accroche.
Chaque pas qui le sépare de l’irréparable consume un peu plus sa raison. Pour ranimer sa belle, il se sait capable de se sacrifier. De mettre fin à chaque misérable vie de cette planète désolée, s’il le fallait. Une douleur stridente traverse son esprit comme une rangée d’épines acérées. Il s’agenouille sous le choc, songe au demi-tour. Mais si l’échec est probable, l’abandon n’est pas une option.
Des heures plus tard, lorsque la nuit est tombée, la passerelle vers les terres interdites a été franchie. Égoïste et fou de désespoir, le voyageur sait déjà qu’il ne reviendra pas. Peu importe.
(texte librement inspiré de Shadow of the Colossus, de Fumito Ueda)
- Atelier d’écriture du 17 décembre 2020
- Thème : la passerelle
- Forme libre
- 40 mn