Lettre de non-suicide

Je vous annonce que lorsque vous lirez ces lignes, je serai encore de ce monde.

Je suis toujours bien là. Imprégnée de l’odeur de mort entourant ma famille. Dans ce corps trans que personne ne baise. Emplie du dégoût que je lis dans les yeux de mon propre entourage. Paniquée à l’idée d’adresser la parole à un autre être humain, sans doute par peur qu’il ne me réponde gentiment.

Si je ne me suicide pas, ce n’est pas par force, ni par choix, mais par lâcheté. Je subis la vie car je ne parviens pas à y mettre fin seule. Vous croyez vraiment que quelqu’un n’ayant le courage, ni de travailler, ni de payer son loyer, ni de déménager, ni de prendre des nouvelles de ses proches… est suffisamment fonctionnel pour se procurer des médocs, ou un flingue ? Pour se jeter de façon flamboyante sous une rame de métro ? Vous croyez que je n’y ai jamais pensé, que je n’ai jamais été à deux doigts d’essayer “juste pour voir ce que ça fait" ? Vous vous trompez. Je ne me suis jamais donnée les moyens d’accomplir mes désirs — et cela inclut mon envie de crever.

Par pitié. Qu’un transphobe me tabasse à mort au hasard d’une ruelle. Qu’une voiture roule bien au-delà de 50 km/h sur mon chemin. Qu’une sale maladie emporte promptement mon corps difforme et négligé. Que quelque chose, que quelqu’un, m’achève enfin.

Cela rendra sans doute très heureux une volée de personnes que je ne connais même pas. À en croire de trop nombreux messages reçus sur Twitter, en tout cas. Qui suis-je pour leur refuser ces cinq minutes de joie ?

Mais, je le sais, rien de tout cela n’arrivera. De manière réaliste, il me reste encore une dizaine d’années à supporter. Peut-être plus ? Sûrement plus. Se tuer à petit feu ne réduit pas la durée de vie à ce point, hélas. De toute façon, je fais bien de rester vivante. Tous ces cons seraient capables de ne pas m’enterrer avec le bon prénom.