Hélas, les noix de pécan étaient salées

Quel genre d’être malfaisant
A pu saler les noix de pécan
Quelle sorte d’esprit démentiel
A mis du sel dans le caramel ?

Scandée à répétition par une demi-douzaine de marmots surexcités, frappant dans leurs mains en rythme, au jardin d’enfants, la ritournelle m’est restée en tête toute la journée. C’est étrange, pourtant, je n’avais jamais entendu cette chanson auparavant. À vrai dire, ça fait un peu mal : même en ce qui concerne les comptines, que je pensais éternelles et indémodables, je suis donc une grosse ringarde — c’est officiel.

Tout bien réfléchi, il y a bien un point sur lequel je suis d’accord : quelle idée de mettre du sel dans tout ? Quand est-ce que le sucré, le fluo, le rondouillard ont cessé d’être cool ? Dans les années 80, on portait des vestes en jean, bariolées de pin’s et de badges cyan et rose éclatants, on posait en survêt’ avec un Nintendo Zapper orange radioactif entre les mains, on placardait des affiches de Top Gun et de Dirty Dancing aux logos néon dans nos chambres… et zut, voilà que je recommence à parler comme une vieille conne. Décidément.

Cet « être malfaisant » du refrain, je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer assis dans un siège en rotin gris, évidemment très inconfortable ; au fond d’une pièce minimaliste et terne ; caressant un chat sphynx ridé ; savourant ostensiblement la destruction de tout ce qui est beau et bon sur la surface de cette planète. Privant les honnêtes gens de leurs nounours en guimauve, de leurs Arlequin et de leurs barbes à papa. Imposant par la terreur le règne éternel du macha, de la pastèque et de la farine de riz. Ce méchant de fiction, un peu nul, ne fera sans doute l’objet d’aucun film ni d’aucun livre, pourtant il me terrifie plus que Paul Williams dans Phantom of the Paradise et Javier Bardem dans No Country for Old Men. D’ailleurs, je l’imagine comme une improbable fusion des deux. Une sorte de monstre de Frankenstein… surtout les cheveux.

Toute plongée dans mes pensées, je ne vois pas l’heure passer. Sur le chemin du retour, juste avant le couvre-feu, je fais un crochet par la supérette (je sais, encore un mot de vieille), pour y acheter un sachet de cacahuètes et d’amandes caramélisées mélangées. En les dégustant, affalée sur mon pouf à pois, je pense aux gens qui mangent leurs noix de pécan salées et grillées, et je ricane bêtement. Si seulement ils savaient.

  • Atelier d’écriture du 12 avril 2021
  • Thème : noix de pécan grillées et salées
  • Forme libre
  • 40 mn