L'aveu

Ce n’était qu’un banal rendez-vous au café comme chaque semaine, mais Sophie agissait de façon étrange. Elle semblait ne pas tenir sur sa chaise, ses mains trahissaient sa nervosité. Comme si elle avait pris double ration de café ce matin-là — soit environ une dizaine de mugs, songea Lilie avec amusement.

Après quelques échanges routiniers sur leurs conditions de travail respectives, sur leurs collègues, sur l’inanité du capitalisme et du patriarcat, il semblait que le moment était venu. L’expression de Sophie se fit plus grave et, après une longue inspiration comme pour se jeter du plus haut plongeoir à la piscine, elle se lança d’une seule traite.

« Lilie… Je sais pas trop comment aborder le sujet mais… y’a un truc que je veux te dire depuis longtemps. C’est important. Ça fait douze ans qu’on se connaît… non attends, peut-être même quinze ? Bref, tu vois. Ben, il y a un truc que je dois t’avouer.
— Hé ma belle, ça va ?
— Oui, ne t’inquiète pas. Rien de grave. Au contraire. Je pense que tu t’en doutes déjà un peu, en fait. Tu sais, on s’est toujours vues comme super proches toi et moi. Mais jusqu’à quel point ? Je sais que tu sais que tu es plus qu’une simple amie pour moi. Mais, je ne t’ai jamais dit à quel point. Je n’ai pas eu l’occasion, pas eu le courage. Je me suis toujours retenue de te dire que mon cœur bat un peu plus vite quand je te vois, que je trouve que tu es la plus belle personne que j’aie jamais rencontré et que chaque année, ce sentiment devient plus fort. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à toi…
— Sophie… arrête… s’il te plaît.
— Tu… comprends ? J’ai toujours eu ces sentiments-là pour toi. Et bien plus encore. Tu es plus inspirante que ce que tu ne pourrais jamais imaginer. Tu es ma joie, mon âme, mon modèle, ma contradiction. Je t’aime tout simplement. Et je devais te le dire un jour ou l’autre. »

Dans un film romantique, c’est à ce moment que le leitmotiv se serait lancé, en cordes et en crescendo. Sophie avait, de toute évidence, préparé longtemps ce moment dans sa tête. Mais Lilie n’entendait plus qu’un acouphène diffus, une sorte de bourdonnement filtré remplaçant le brouhaha de la terrasse bondée. Elle ne brisa le silence qu’après avoir fait le tri dans ses pensées, afin d’organiser ses propos — dans le but, sans doute vain, de répondre de la façon la moins blessante possible.

« Tu… tu sais bien que ce n’est pas réciproque. Non ? Tu le sais déjà, je crois. J’aime les femmes mais… pas toi… pas de cette façon.
— Je ne souhaitais pas t’en parler jusqu’à maintenant mais j’ai pensé que c’était mieux pour…
— Mieux pour quoi ? Et moi alors, tu y as pensé ? Qu’est-ce que je vais faire de ce poids ? Comment est-on supposées continuer après ça, est-ce que tu y as seulement pensé avant de soulager ta conscience, sale égoïste ? »

Lilie lut dans le visage de Sophie toute la peine que ces quelques mots lui avaient infligé. Des petits riens, qui trahissaient une indescriptible douleur : l’arc de ses sourcils, le tressautement du coin droit de sa lèvre, le voile humide qui s’était logé devant ses prunelles.

« Je… excuse-moi. Mais je ne sais pas comment répondre à ça. Je tiens à toi, comme amie et confidente, mais… je ne ressens pas ce que tu décris.
— Je connaissais les risques. J’étais prête à les prendre. Sinon je n’aurais sans doute pas attendu aussi longtemps pour t’en parler. Surtout ne t’excuse pas, je suis la seule fautive : c’était mon pari, et je l’ai perdu. »

Le silence, à nouveau. Lilie voyait que Sophie retenait ses larmes, et sentait elle-même les sanglots monter. Elle reprit d’une voix presque éteinte :

« Alors, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? Est-ce qu’on peut même encore être amies après ça ?
— Je pense qu’on a déjà dépassé ce stade. Vraiment, tu… Tu es sûre que tu ne vois aucun avenir pour cette relation entre nous ?
— Je ne suis sûre de rien, là, maintenant.
— Concrètement, qu’est-ce que ça changerait tant que ça par rapport à ce qu’on a déjà ? »

Touchée. Lilie ne trouvait pas de réponse pertinente à cette question. Mais elle savait aussi qu’elle ne partageait pas les sentiments de Sophie. Pas exactement. Pas de cette façon.

Trois minutes lui furent nécessaires pour articuler ces mots, qui exprimaient à la fois toute sa pensée et ses doutes :

« On en reparlera.
— Lilie…
— Laisse-moi juste du temps. »

  • Atelier d’écriture du 27 septembre 2021
  • Thème : une personne exprime ou dévoile ses sentiments lors d’une discussion profonde avec une autre personne.
  • Durée : 40 mn
  • Format : dialogue