Philippe & Driss

Intérieur jour

Deux personnages discutent de vive voix dans une petite pièce. L’appartement est de taille particulièrement modeste et en grand désordre, des vêtements traînent un peu partout par terre. L’un d’eux, Driss, un jeune de grande taille, se tient debout face à l’autre, Philippe, un cinquantenaire aux traits tirés avachi dans un canapé en faux cuir dont les coutures se défont.

Driss (énervé) : Hé mais je comprend pas, pourquoi vous m’avez fait venir, si vous avez pas de quoi me payer ??
Philippe : Eh bien… comme vous pouvez le voir, je ne roule pas exactement sur l’or. Mais cette expérience bénévole sera valorisée sur votre CV et vous permettra peut-être de décrocher, d’ici six mois ou un an, un emploi dans une compagnie d’aide à la personne ou une association, qui vous paiera pour faire exactement le même job. Franchement, vous pensez être en position d’obtenir un meilleur arrangement ?
Driss (sidéré) : Genre vous avez pas des aides ou des trucs comme ça ? L’État vous donne pas d’argent pour vivre ?
Philippe (soupirant) : Hé non ! Vous voyez, pour bénéficier de l’Allocation Adulte Handicapé, il faut déposer un dossier et attendre une réponse. Disons que moi… je ne dois pas être prioritaire car j’attend toujours. Ensuite, normalement, on vous convoque pour assister à une commission et… (il montre ses jambes) j’espère pouvoir les convaincre d’être « assez handicapé ».

Un long silence passe. L’amère réflexion de Philippe n’a rien d’une blague et ne fait rire personne. Le tic-tac d’une horloge égrène les secondes.

Driss : Moi m’sieur je vais pas vous mentir, je suis au chômage depuis bientôt deux ans, la fin de droit approche, donc je suis prêt à prendre n’importe quoi qui me permette d’avoir un boulot à la fin…
Philippe (pensif) : Hm. Oui. Par contre, évitez de déclarer votre activité bénévole à Pôle-Emploi, ils risqueraient de vous priver de vos allocations…

À nouveau le silence. La gêne est palpable, l’ambiance est pesante. Driss semble sérieusement considérer d’accepter l’offre.

Driss : Et admettons que je dise oui ? En quoi consistera mon travail ?
Philippe : Pour commencer il faudra me porter dans les escaliers. Au troisième étage, sans aide, je ne peux pas sortir de chez moi tout seul.
Driss : Bah et l’ascenseur ?
Philippe (avec une moue d’habitué) : Il est trop petit. Mon fauteuil ne rentre pas dedans, même plié. En vrai, même en béquilles c’est limite.
Driss (semble pris d’une soudaine réalisation) : Ah mais ouaiiiiis !
Philippe (poursuivant) : …Depuis que de nouvelles lois autorisent les promoteurs à ne construire qu’une petite partie de leurs logements accessibles, évidemment sans mettre aux normes les constructions plus anciennes, le coût des appartements accessibles a flambé dans toute la région. Surtout au rez-de-chaussée. C’est un bien rare et cher… trop cher pour moi.

Le silence s’installe à tel point que l’on entend le ronronnement du moteur du frigo se déclencher. Les deux protagonistes restent là à se fixer, l’air désespérés.

Musique entraînante
Voix off (enthousiaste) : HANDICAPAUVRE !!! UNE COMÉDIE FAMILIALE FRANÇAISE ! BIENTÔT SUR VOS ÉCRANS.

  • Atelier d’écriture du 29 mars 2021
  • Thème : parodiez une comédie française de votre choix sans donner son nom
  • Forme libre
  • 40 mn