Sara

« Que fais-tu ici ? »

Interdit, Lucas la fixait. C’était elle. installée nonchalamment dans le grand fauteuil en tissu. Sa place habituelle. Son mug de café noir dans une main. Comme si les deux derniers mois n’avaient été qu’une ellipse. Dans l’attente d’une réponse, Lucas scrutait son visage diaphane ; il détaillait mentalement ces grains de beauté si familiers, cherchait une réponse dans un imperceptible mouvement de main, dans le tressautement d’une clavicule, dans le pli d’une fossette.

En vain. Sara brisa le silence de sa voix doucereuse :

« Je pourrais te retourner la question. C’était notre appartement, à tous les deux, je te rappelle.
— Mais… on s’était mis d’accord, tu t’en souviens ? Je ne voulais plus jamais te revoir.
— Je sais. Je suis juste venue pour… discuter. De tu sais quoi. »

Le jeune homme blond laissa échapper un soupir sonore. Des sentiments contradictoires envahissaient son esprit, en cavalcade. Il avait tellement anticipé ce moment, et pourtant…

« Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu’il y a encore à en dire, mais je t’écoute.
— En fait, je pense que tu t’en es trop bien sorti. Est-ce que tu as seulement conscience de ce que tu as fait ? Espèce de lâche. Si seulement je pouvais, je te ferais payer tous ces moments de souffrance que tu m’as infligées. Je regrette de t’avoir tout laissé, cet appartement… mes années perdues.
— Dis…
— Non, maintenant tu dois m’écouter. Et tu m’écouteras. Tu m’entendras. Tous les jours.
— Et toi, tu crois que tu n’as eu aucun tort ? »

La voix de Lucas avait explosé à travers la pièce. Une fraction de seconde, un rai de lumière extérieure illumina les grands yeux bleus de Sara, qui avaient perdu de leur pétillant. Elle semblait découragée, lasse. Lucas poursuivit, fou de rage :

« Je ne vais rien te dire. Ces boucles d’oreille que tu portes. Celles en forme de cœur. Tu ne les a jamais aimées. Ce n’est pas toi. Ça n’a jamais été toi. Ce tatouage sur ton épaule gauche, il est décalé de quelques millimètres. Rien de tout ça n’est vrai et tu le sais… »

Par la fenêtre ouverte, la brume avait commencé à envahir toute la pièce. Le visage de Sara, esquissant une moue de mécontentement, commençait déjà à se faner en dessinant comme une constellation de toiles d’araignée.

« Pas mal. Si seulement tu avais fait preuve d’autant d’attention quand j’étais encore vraiment là… »

L’ampoule nue accrochée au plafond claqua d’un bruit net. Au milieu de la pièce désormais plongée dans la pénombre, mais que Lucas savait vierge de meubles et pleine de poussière, se tenait un seul fauteuil en tissu, vide.

  • Atelier d’écriture du 10 mai 2021
  • Thème : « Un matin, sortant de la pièce du fond, il eut la surprise de [la] trouver assise dans le grand fauteuil, une tasse de café à la main.
    — Que fais-tu ici ? »
    (Corps et âme, Frank Conroy, chapitre 3)
    C’est une bonne question, ça, qu’est-ce qu’elle fait ici ? Écrivez la suite de la scène, soit sous la forme d’un dialogue théâtrale, soit sous la forme d’un dialogue de roman.
  • Format : dialogue de théâtre ou de roman.
  • Forme libre
  • 40 mn